Francés Français
versiones de Jean Portante y Stéphane Chaumet
Jean Portante:
Méthode pour calculer le temps
Ceux qui vivent de ce côté-ci de la route
en savent long sur les compensations
chaque fois que quelqu’un passe en direction du Sud
ils notent l’heure exacte
et laissent tomber une pierre dans le vide de l’être.
Ceux qui vivent de l’autre côté
connaissent la polarité :
chaque fois que quelqu’un passe en sens contraire,
au retour,
ils notent la même chose,
mais retirent une pierre du vide de l’être.
Ainsi les uns remplissent leur vide
et les autres le désencombrent.
De temps à autre,
ceux qui ont rempli leur vide
traversent le vieux pont (qui était neuf)
et attendent patiemment
que passent ceux qui reviennent du Sud,
l’un après l’autre,
jusqu’à ce que le vide soit complet.
Método para calcular el tiempo// Los que viven a este lado de la ruta/ saben de compensaciones:/ cada vez que alguien pasa rumbo al Sur/ anotan la hora exacta/ y dejan caer una piedra en el vacío del ser.// Quienes viven del otro lado/ conocen la polaridad:/ cada vez que alguien pasa en sentido contrario,/ de regreso,/ anotan lo mismo,/ pero sacan una piedra del vacío del ser.// Así unos llenan su vacío/ y otros lo despejan.// Cada cierto tiempo,/ los que han llenado su vacío/ cruzan por el puente viejo (que era nuevo)/ y esperan con paciencia/ a que pasen los regresadores del Sur,/ uno tras otro,/ hasta que el vacío es total.
Le noyé
Je voudrais clarifier que ce n’est pas dans une rivière
mais sur la terre ferme que je me suis noyé.
La seule rivière que je porte dans ma mémoire
est un frisson
dans lequel sombrent les petites choses
même si jamais elles ne vont jusqu’à disparaître.
Parfois
elles coulent avant que ne passe la rivière.
Et leur appel à l’aide
arrive toujours
trop tard.
El ahogado// Deseo aclarar que no fue en un río/ sino en la misma tierra donde me ahogué. // El único río que llevo en la memoria/ es un estremecimiento/ donde las pequeñas cosas se hunden/ aunque nunca llegan a desaparecer. // A veces, / se hunden antes de que pase el río.// Y su pedido de auxilio/ siempre/ llega tarde.
Les différences entre mon père et Kerouac
Mon père est né un an après,
très loin, presqu’au bord de cette route.
Kerouac n’a pas eu, quant à lui, de père
né en haute mer, comme mon grand-père.
Et pourquoi aurait-il écrit de la poésie, mon père.
En revanche Kerouac, de catholique à bouddhiste,
dépassait toutes les frontières.
Mon père avait une bicyclette rouge : c’est ça voyager.
Ouf, tous les deux détestaient le communisme.
Je crois que si un carrefour mystérieux
les aurait réunis à la table d’un bar
ils auraient beaucoup ri.
Mais mon père qui était péroniste
ne s’est enivré qu’une seule fois
dans toute sa vie.
Las diferencias entre mi padre y Kerouac// Mi padre nació un año después,/ muy lejos, casi a la orilla de esta ruta.// Kerouac no tuvo, a su vez, un padre/ nacido en altamar, como mi abuelo.// Y para qué iba a escribir poesía, mi padre./ En cambio Kerouac, entre católico y budista,/ excedía todas las fronteras.// Papá tenía una bicicleta roja: eso es viajar.// Uf, ambos detestaron el comunismo./ Creo que si un cruce misterioso/ los hubiese reunido en la mesa de algún bar/ se habrían reído mucho.// Pero mi padre, que era peronista, se emborrachó/ una sola vez en toda su vida.
Comparaisons
Je marche en rond
comme si j’avais un bras
chargé de bouteilles,
comme si un côté était plus lourd,
comme un oiseau qui n’aurait
qu’une seule aile.
Je vis en en rond, comme un dieu errant.
Je tourne tellement en rond.
Comme un cercle tracé par un bras
chargé de bouteilles,
comme un oiseau dont le vol incertain
dure toute l’éternité,
et son poids interdit
penche du côté du cœur.
Comparaciones// Ando en círculos/ como si llevara un brazo/ cargado de botellas,/ como si me pesara más un lado,/ como un pájaro que tuviera/ solamente un ala.// Vivo en círculos, como un dios errante./ Tantas vueltas que doy.// Como un círculo trazado por un brazo/ cargado de botellas,/ como un pájaro cuyo vuelo inseguro/ dura toda la eternidad/ y su peso prohibido/ va del lado del corazón.
Vies privées
La mort est pain quotidien.
le vingt-six mars, par exemple,
s’est cassé le dernier verre de ce jeu italien.
À l’arrivée de l’hiver nous avons perdu une boîte
et dans son ventre
est partie une vieille photo de mes parents.
La mort c’est à chaque moment.
Il y a un an est mort le chien de la maison
et ce n’est que hier que je m’en suis rendu compte.
Tous les jours la mort.
Un choc a enterré ce que pensais
de certains obstacles.
La bouteille s’épuise et se recharge
comme dans les pires rêves,
elle s’épuise et se remplit de nouveau quand
nous dépassons le petit calvaire
que nous portons tous en nous.
Vidas privadas// La muerte es pan de cada día./ El veintiséis de marzo, por ejemplo,/ se quebró la última copa de aquel juego italiano./ Al llegar el invierno perdimos una caja/ y en su vientre/ se fue una antigua foto de mis padres.// La muerte es a cada momento./ Hace un año murió el perro de la casa/ y recién ayer me di cuenta.// Todos los días la muerte./ Un choque enterró lo que pensaba/ de ciertos obstáculos./ La botella se agota y se recarga/ como en los peores sueños,/ se agota y se vuelve a llenar cuando/ rebasamos el pequeño humilladero/ que todos llevamos dentro.
Stéphane Chaumet:
On arrive toujours en retard
Quelqu’un a toujours était là avant.
On arrive toujours en retard.
Quoi qu’on fasse,
par exemple mettre la tête dans un vieux seau,
c’est comme se noyer dans ce qu’on appelle la mémoire.
Le poing rougi
à force d’appuyer un visage de penseur
sur des coudes et des genoux
ça fait partie d’une lettre,
d’un agenda, peut-être,
dont on fait le brouillon sur un carnet
à moitié abandonné.
Mais on s’ouvre la tête,
on y met un peu de vin
et la vie est résolue :
tout a un goût de terre.
Ça revient au même si on t’insulte au téléphone.
Tout a un goût de terre,
parce que dans ce lieu promis
quelqu’un a toujours était là avant.
On arrive toujours en retard.
Siempre llegamos tarde// Siempre alguien estuvo antes aquí./ Siempre llegamos tarde.// Cualquier cosa que uno haga,/ por ejemplo meter la cabeza en un balde viejo,/ es como ahogarse en eso que llaman memoria.// El puño enrojecido/ de tanto apoyar una cara de pensador/ sobre codos y rodillas/ es parte de una agenda,/ de una carta, quizás,/ que ensayamos en una libreta/ a medias abandonada.// Pero se abre la cabeza,/ se echa un poco de vino/ y ya tenemos la vida resuelta:/ todo tiene gusto a tierra.// Da lo mismo si te insultan por teléfono./ Todo tiene gusto a tierra,/ porque en este lugar prometido/ siempre alguien estuvo antes aquí.// Siempre llegamos tarde.